vendredi 16 décembre 2011

Nous, Franco-Allemands !

Bonjour à tous,

Parce qu'au delà de la politique, il y a une réalité sur le terrain. Un très bon article du journal Le Monde sur les franco-allemands.

Nous, Franco-Allemands !

Point de vue | LEMONDE | 15.12.11 | 14h35
par Maxim Leo, écrivain et journaliste

La revoilà, une fois de plus et malgré tout, la peur de la mésentente entre les Allemands et les Français. La peur qu'ils ne se soient en réalité jamais compris. Voilà qu'on parle de Bismarck et de Munich. De diktat allemand, de manque de fiabilité française. La peur réciproque est plus ancienne que l'amitié mutuelle. C'est cela, le problème.

Je suis un Franco-Allemand. L'un de ceux qui ne connaissent pas cette peur. Les gens de mon espèce, on les compte aujourd'hui à foison. Un millier de mariages franco-allemands ont lieu chaque année. Près de vingt mille Français vivent à Berlin, et ce sont des milliers d'Allemands qui habitent en France. Chaque année, des centaines, peut-être même des milliers d'enfants viennent au monde vaccinés contre cette peur. Nous sommes de plus en plus nombreux. Et nous sommes là, que l'euro soit fort ou faible. Que la chancelière et le président se comprennent ou non. Et quels que soient les populistes qui recommencent aujourd'hui à rabâcher leurs stupidités.

Mon identité franco-allemande est née avec mon grand-père Gerhard, qui a dû fuir l'Allemagne en 1932 avec sa famille parce que son père, un avocat, avait gagné dans les années 1920 un procès contre un certain Joseph Goebbels - et qu'il était juif, par-dessus le marché. Sa famille partit pour Paris. Mon arrière-grand-père s'établit comme libraire ; Gerhard et ses autres enfants devinrent de petits Français en l'espace de quelques mois.

Lorsque les Allemands marchèrent sur Paris, mon grand-père Gerhard prit la fuite et rallia la Résistance. Il opéra dans la clandestinité, fut arrêté par la Gestapo, condamné à mort et libéré par les partisans. Après la guerre, lorsque Gerhard revint dans sa patrie vaincue, il était lieutenant de l'armée française. Et, comme il était entre-temps devenu communiste, il alla construire en RDA l'autre Allemagne, l'Allemagne antifasciste. Mais je crois que, au fond de son coeur, il n'a jamais cessé d'être un Français.

Voilà comment l'image que je me faisais de ce pays merveilleux a commencé à se former. Et lorsque la RDA a fini par disparaître, je suis allé faire mes études à Paris. Les choses y étaient exactement comme mon grand-père me l'avait promis. Peut-être même mieux que cela. Je fis la connaissance d'une belle Française à laquelle je chantai des chansons russes sur une plage de Normandie, ce qu'elle trouva très exotique. Lorsque nous nous mariâmes, quatre ans plus tard, à Berlin, Gerhard tint un discours. Il parla de la France, de l'Allemagne et de la réconciliation entre les peuples. Mon beau-père, Philippe, qui a oeuvré toute sa vie à la Commission européenne, fit lui aussi une allocution de ce genre. Il nous qualifia de conclusion symbolique de son travail.

Nous nous retrouvions d'un seul coup avec toute cette histoire sur le dos. Nous, Franco-Allemands qui devions tout mieux faire. Comme mon grand-père Gerhard avait, lui aussi, voulu mieux faire à Berlin-Est. Comme mon beau-père Philippe qui, issu d'une famille de militaires français, voulait mieux faire à Bruxelles. Nous qui faisons mieux les choses, nous n'avons pas la tâche facile, c'est tout ce que je peux dire. Parce que la moindre chose prend tout de suite une telle importance.

Les années 1990 ont été une bonne période pour nous, les Franco-Allemands. L'entente franco-allemande, on en faisait toute une histoire. Je me rappelle une rencontre entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Heidelberg, en juin 1994. Mitterrand était déjà chétif, le visage jaune. Quant à Kohl, c'était encore le géant rose du Palatinat. Tous deux parlèrent de la fin de la guerre et d'une amitié qui, désormais, ne prendrait plus fin. Ils étaient émus. Kohl pleura un peu, comme toujours. Il y avait quelque chose de poignant à les voir ainsi, ces deux hommes. Et pourtant tout ce bavardage sur l'entente franco-allemande me tapait un peu sur les nerfs. Pour moi, l'entente était un problème réglé depuis belle lurette. Je voulais que les choses aillent plus loin. Qu'il y en ait plus.

Des Franco-Allemands professionnels assuraient dans les deux pays la bonne marche de la machine à réconcilier. Ils avaient certainement de bonnes intentions, mais, plus les années passaient, plus leurs propos se teintaient de langue de bois. L'entente entre les deux peuples devenait une sorte de profession de foi dont les jeunes ne savaient plus trop quoi faire. Parce que, pour nous, la paix était normale. L'amitié se transformait en rituel. Les anciens avaient les yeux dans le rétroviseur. Or nous, nous voulions regarder vers l'avant.

Les Franco-Allemands professionnels sombrèrent ainsi un peu dans leur ennui incantatoire. Et, à un moment, ils ne rendirent plus vraiment service à leurs pays. Peu après être devenue conseillère du chancelier allemand Gerhard Schröder, en 1998, Brigitte Sauzay a prononcé une belle phrase. Elle a dit qu'il ne fallait pas se contenter de fouiller l'histoire en permanence. Qu'il fallait se découvrir à nouveau chaque jour, comme dans un bon couple.

A la routine lassante de la fin des années 1990 succéda la phase de l'ignorance timide. La France et l'Allemagne se perdirent un peu de vue. Sarkozy et Merkel ne pleurent pas ensemble. Aujourd'hui, je trouve cela dommage.

Mais il n'y a pas de raisons d'être triste ou même anxieux pour autant. Il s'est passé beaucoup de choses ces dernières années. Pas dans la politique, mais dans la société. Nous, les Franco-Allemands, nous sommes devenus plus forts. Nous agissons, tout simplement. Nous ignorons les frontières. Nous sommes européens. Je vis à Berlin, mes deux filles fréquentent une école franco-allemande. En cours de géographie, elles apprennent par coeur les pays voisins de la France. Lorsque, récemment, j'ai demandé à ma cadette quels étaient les voisins de l'Allemagne, seule la France lui est venue à l'esprit. Je crois que c'est bon signe.

Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni
Maxim Leo s'est vu décerner, mercredi 7 décembre, au Parlement européen, à Bruxelles, le Prix du livre européen, dont c'était la 5e édition. Il est le lauréat de la catégorie roman pour "Histoire d'un Allemand de l'Est" (Actes Sud, 2010)

Maxim Leo s'est vu décerner, mercredi 7 décembre, au Parlement européen, à Bruxelles, le Prix du livre européen, dont c'était la 5e édition. Il est le lauréat de la catégorie roman pour Histoire d'un Allemand de l'Est (Actes Sud, 2010).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/15/nous-franco-allemands_1619266_3232.html

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